30 juillet 2024

Sanofi vs. Amgen : Succès de la première action en révocation de la JUB et évaluation stricte de la brevetabilité des anticorps thérapeutiques

Le 16 juillet 2024, la division centrale de Munich a révoqué pour la première fois un brevet dans le cadre du litige opposant Sanofi, Regeneron et Amgen (UPC_CFI_1/2023).Cette décision est importante non seulement parce qu’elle est la première du genre, mais aussi parce qu’elle établit la position de la JUB sur la brevetabilité des inventions relatives aux anticorps thérapeutiques.

Faits de l’espèce

Dans cette affaire, une action en révocation a été intentée contre le brevet EP 3,666,797, l’un des brevets d’Amgen relatifs aux anticorps PCSK9. La première revendication de ce titre concernait un anticorps utilisé pour traiter ou prévenir l’hypercholestérolémie ou la maladie artériosclérotique, dans lequel l’anticorps « se lie au domaine catalytique d’une protéine PCSK9 de la séquence d’acides aminés SEQ ID NO : 1, et empêche ou réduit la liaison de la PCSK9 au LDLR ». Trois sociétés Sanofi avaient déposé une action principale en déchéance le 1er juin 2023, jour de l’entrée en vigueur de la CUP, devant la section munichoise de la division centrale de la JUB, tandis que le même jour, quelques minutes plus tard, Amgen déposait une action en contrefaçon contre ces trois sociétés et Regeneron devant la division locale de Munich. Regeneron a ensuite introduit une demande reconventionnelle en déchéance, ce que les sociétés Sanofi n’ont pas fait. Il s’agit donc d’actions en déchéance parallèles et similaires devant la division centrale et la division locale, de sorte que toutes les parties ont convenu que la demande reconventionnelle en déchéance devait être renvoyée à la division centrale. Ces actions s’inscrivent dans un contexte pour le moins riche. Amgen, Sanofi et Regeneron s’affrontent depuis 2014 sur les brevets relatifs aux anticorps PSK9 d’Amgen, qui couvriraient à la fois son Repatha et le Praluent commercialisé par Sanofi et Regeneron. Dans un premier temps, les litiges ont été portés devant les juridictions nationales européennes, avant d’être portés devant la JUB. Une affaire relative au brevet américain correspondant à EP’797 a également été portée devant la Cour suprême des États-Unis.

Premier apport de cette décision

L’apport principal de la décision de la JUB réside dans son enseignement sur la brevetabilité des anticorps thérapeutiques. La Cour s’est d’abord attachée à interpréter la revendication 1, et donc sa méthode d’interprétation.Tout d’abord, la Cour considère que l’homme du métier qui interprète une revendication détermine la signification technique des termes utilisés à l’aide de la description et des dessins. Ensuite, le Tribunal examine la caractéristique fonctionnelle de la revendication « relie le domaine catalytique d’une PCSK9 ». Il s’agit ici de comprendre la limitation fonctionnelle de la revendication. Le Tribunal considère que pour l’homme du métier, la liaison d’un anticorps a une fonction, à savoir empêcher ou réduire la liaison de la PCSK9 au LDLR. Toutefois, en l’absence de toute indication dans la revendication ou la description selon laquelle la liaison doit avoir lieu exclusivement ou principalement dans le domaine catalytique pour que la fonction technique soit réalisée, il s’ensuit que l’homme du métier ne l’aurait pas compris. En outre, la Cour a également estimé que l’autre limitation fonctionnelle, à savoir l’effet thérapeutique des anticorps (c’est-à-dire la réduction du cholestérol), impliquait que la revendication ne concernait que les anticorps ayant un effet thérapeutique (même s’il est « très faible »). En fin de compte, le langage fonctionnel de la revendication ne devrait pas être interprété comme couvrant « tous les anticorps capables de se lier au domaine catalytique ». Une telle interprétation montre que le Tribunal semble vouloir donner plus de poids à la description que ne le font généralement les chambres de recours de l’OEB (par exemple, T 169/20, « l’appui de la description pour interpréter les revendications ne devrait être utilisé que dans les cas exceptionnels où l’objet de l’invention et/ou son contexte technique doivent être clarifiés, et ne peut être applicable que lorsque l’invention dans la description correspond à l’invention telle qu’elle est revendiquée »).

Deuxième apport de la décision

Dans un deuxième temps, la Cour développe son analyse de l’exigence d’activité inventive (CBE, art. 56). Il est intéressant de noter ici que la Cour a choisi de ne pas suivre l’approche problème-solution classiquement employée à l’OEB, en ne partant pas de l’état de la technique le plus proche, c’est-à-dire le plus prometteur (directive G-VII-5.1 de l’OEB), mais seulement d’un point de départ réaliste. La division centrale a considéré qu’il y avait en l’espèce une orientation explicite de l’état de la technique vers le développement d’anticorps capables de bloquer le lien entre PCSK9 et LLDR, car un homme du métier aurait compris à partir de l’état de la technique que le blocage de ce lien pouvait être exploré pour le traitement de l’hypercholestérolémie.Ainsi, compte tenu de cette orientation, l’homme du métier aurait eu une chance raisonnable de réussir à obtenir les anticorps définis par mes revendications sans exercer d’activité inventive, même s’il se serait rendu compte que la fabrication des anticorps et la mise en place des méthodes de criblage pouvaient nécessiter un temps et des ressources considérables. Le tribunal a donc révoqué le brevet dans son intégralité (c’est-à-dire ici pour tous les États membres de la CUP), estimant que l’homme du métier était motivé pour mettre au point des anticorps thérapeutiques contre la PCSK9 et qu’il serait parvenu aux anticorps revendiqués avec une chance raisonnable de succès sans « charge indue » (en référence au temps et aux ressources nécessaires).

Conclusion

Comme nous l’avons déjà noté ci-dessus, la division centrale de Munich s’écarte légèrement des positions de l’OEB sur l’interprétation des revendications et l’évaluation de l’activité inventive. Néanmoins, le résultat concernant la brevetabilité des anticorps est proche de celui de l’OEB et diffère donc également de l’approche américaine. La position de la Cour est proche de celle de l’OEB, qui considère que « l’objet d’une revendication définissant un nouvel anticorps qui se lie à un antigène connu n’implique pas d’activité inventive, à moins qu’un effet technique surprenant ne soit démontré dans la revendication ou qu’il n’y ait pas eu d’espoir raisonnable d’obtenir des anticorps ayant les propriétés requises » (directive G-II-5.6.2 de l’OEB). Ainsi, selon la division locale allemande, en l’absence de difficultés particulières, le développement d’anticorps pour une cible connue est routinier et n’est donc pas inventif.Cela contraste avec la révocation aux États-Unis, fondée sur l’exigence d’habilitation, et où l’habilitation a été jugée insuffisante parce que, même à partir de la description, l’homme du métier devait faire un effort inventif pour arriver aux millions d’anticorps couverts, selon la Cour suprême, par les brevets d’Amgen (21-757 Amgen Inc. v. Sanofi (05/18/23)). En définitive, la JUB établit un seuil de brevetabilité des anticorps beaucoup plus élevé en Europe qu’aux États-Unis.

Auteur : Dhenne Avocats.