29 juillet 2024

L’ordonnance de production des preuves devant la Juridiction Unifiée du Brevet (Huawei vs. Netgear)

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Les lecteurs réguliers de ce blog connaissent mon intérêt, ou plutôt ma passion, pour plusieurs sujets liés au droit des brevets, parmi lesquels les SEPs (voir notamment ici, ici et ici), la preuve de la contrefaçon (voir notamment ici, ici et ici) et la JUB (voir notamment ici, ici et ici).

Jusqu’à présent, la CUP n’a pas (encore) été le théâtre de litiges FRAND titanesques, mais a néanmoins vu les sujets ci-dessous se croiser, notamment dans une décision récente rendue par la division locale de Munich le 25 avril 2024, dans une affaire opposant Huawei aux sociétés Netgear (ci-après « Netgear ») (UPC_CFI_9/2023).

Les faits de l’espèce

Dans cette affaire, le demandeur, Huawei, a intenté une action en contrefaçon de son brevet essentiel  no. EP 3,611,989 intitulée « Procédé et appareil pour transmettre des informations de réseau local sans fil ». En réponse, les défendeurs, Netgear, ont invoqué l’épuisement des droits en se fondant sur un accord de licence conclu entre le fournisseur des défendeurs et le demandeur. Ce même contrat de licence avait déjà été utilisé comme preuve dans une procédure parallèle de discovery aux États-Unis. Les défendeurs ont demandé à la CUP d’ordonner au demandeur de produire cet accord de licence. Ils ont souligné que certains des modes de réalisation contestés comprenaient une puce Qualcomm. Huawei avait conclu un accord de licence avec Qualcomm, qui incluait également les brevets de la norme Wi-Fi 6, et cet accord de licence était déjà à la disposition de Netgear en raison de la procédure de communication de pièces aux États-Unis. Toutefois, Netgear n’a pas été autorisée à produire cet accord : le tribunal américain, dans le cadre d’une demande d’autorisation de production dans la procédure devant la CUP, a invité Netgear à soumettre une demande de production dans la présente procédure.

Les fondements textuels

Au visa des règles 190 (ordonnance de production des preuves) et 262A (protection d’une information confidentielle), la Cour a estimé que dès lors que les défendeurs, bien qu’ils étaient déjà en possession du contrat via la procédure américaine, n’étaient toutefois pas en mesure de produire ledit contrat de licence et qu’il était équitable d’ordonner sa production pour leur défense. Cependant, les intérêts des parties devaient être protégés via des mesures de protection de la confidentialité. En outre, cette licence ne pourrait être utilisée qu’en vue de la preuve dans la procédure devant le JUB et non, a contrario, dans d’autres procédures.

Analyse

Cette décision est particulièrement intéressante car elle illustre la mise en œuvre des mécanismes des règles 190, § 1 et 262A mentionnés ci-dessus. En vertu de la règle 190, § 1, la Cour peut ordonner la production de preuves en possession d’une partie. Parallèlement, la règle 262A prévoit la possibilité de prendre des mesures pour protéger des intérêts confidentiels légitimes. Ainsi, l’injonction de produire des éléments de preuve complète d’autres mécanismes de preuve établis par l’AJUB, tels que la saisie. Dans le même temps, la Cour pourrait ordonner des mesures visant à protéger des informations confidentielles.

Il reste à déterminer ce que l’on entend précisément par « informations confidentielles ». La définition figurant dans la directive 2016/943 sur la protection des secrets d’affaires pourrait constituer une base utile à cet égard. La question de la définition des informations confidentielles pourrait plus particulièrement être soulevée à la suite de l’exécution d’une ordonnance ex parte de conservation des preuves et d’inspection des locaux (article 60, § 1 de l’AJUB). Cette question de la protection des secrets d’affaires dans le cadre de la saisie-contrefaçon a suscité, et continue de susciter, un contentieux important devant les juridictions françaises habituées à la saisie-contrefaçon (voir ici pour quelques commentaires sur ce sujet).

Auteur : Dhenne Avocats.