Guest Writer I Anti-Covid vaccines and compulsory licences: what are we talking about?
Au moment où une proposition de loi visant l’octroi d’une licence d’office dans l’intérêt de la santé publique en cas d’extrême urgence sanitaire vient d’être déposée au Sénat, les fausses informations qui polluent le débat public relatif à la licence d’office ne cessent de proliférer. Certains éclairages nous paraissent nécessaires pour assainir ce débat.
« Les brevets ne sont pas le sujet »
L’exécutif prétend que les brevets ne sont pas « le sujet » : autrement dit, aucun brevet n’entraverait la fabrication des vaccins.
Certes, à l’heure qu’il est aucun brevet visant directement un vaccin en tant que tel n’a pu être délivré, dans la mesure où une telle délivrance nécessite, au préalable, le dépôt d’une demande auprès d’une administration, qui l’examinera durant une procédure qui durera approximativement deux ans.
Cependant, l’absence de brevets délivrés n’est pas synonyme d’absence de brevets susceptibles de faire obstacle à la fabrication des vaccins.
Premièrement, c’est la demande de brevet, et non sa délivrance, qui constitue l’origine du droit de brevet, dès cet instant une action en contrefaçon est envisageable.
Deuxièmement, la fabrication des vaccins implique des procédés, qui eux peuvent être antérieurs à la pandémie et être l’objet de brevets. C’est le cas de l’ARN messager et des nanoparticules de lipides, par exemple, à propos desquels BioNTech et Moderna détiennent de nombreux brevets. De même l’Université d’Oxford détient des brevets relatifs à la technique de l’ADN recombinant utilisée pour le vaccin de Astra Zeneca, à laquelle l’Université d’Oxford a accordé une licence exclusive. Par ailleurs, l’annonce de Moderna de ne pas invoquer ses brevets durant la pandémie n’est pas synonyme d’une renonciation de droits. Moderna ne renonce à rien, bien au contraire elle exerce son droit en donnant accès à ses techniques brevetés sous des conditions imposées par elle seule.
Cela étant, les brevets pourraient s’avérer inutiles sans le savoir-faire indispensable pour mettre en œuvre leur enseignements. Ce savoir-faire sera notamment nécessaire quand il s’agira de constituer un dossier en vue de l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché. Seulement, rien, sinon l’absence de volonté politique, ne s’oppose à ce que la licence d’office s’étende au brevet ainsi qu’au savoir-faire nécessaire pour son exploitation.
« L’insuffisance des capacités industrielles adaptées est le sujet »
Pendant que l’exécutif continue de prétendre que la mise en flacons sur le territoire français équivaudrait à une « production » (dont elle n’est en réalité que la quatrième étape, i.e. le conditionnement), il met également en avant l’insuffisance de « capacités industrielles » pour fabriquer les principes actifs (première étape de ladite fabrication, qui en constitue la plus importante).
Il ne fait guère de doute qu’un industriel qui n’est pas libre d’exploiter, parce que des brevets de tiers réservent l’utilisation de certaines techniques, ne va pas investir pour acquérir de telles capacités.
Et, même à considérer qu’il soit vrai que des brevets n’entraveraient pas la production, l’idée même selon laquelle nous n’aurions pas en France les « capacités industrielles » nécessaires, ou qu’il serait trop long et/ou trop compliqué de développer de telles capacités, ne résiste pas à l’analyse : rien ne sert d’être un expert de la production pharmaceutique pour comprendre que, là aussi, rien n’est impossible quand une volonté politique existe, puis que quand bien même cela prendrait du temps ce serait autant générateur d’emplois qu’utile pour les renouvellements de vaccins et/ou pour d’autres pandémies.
« Levée des brevets » et « biens communs de l’humanité »
Ces deux éléments de langage, dorénavant centrales dans le débat, sont systématiquement associés à la licence d’office, plus particulièrement à l’extrême gauche de l’hémicycle, alors qu’ils ne correspondent pourtant ni l’une ni l’autre à la réalité du système des brevets.
Il s’agit dans les deux cas de désigner une expropriation des brevets. Il faudrait « levée les brevets » ou en faire des « biens communs de l’humanité » pour que tout un chacun puisse produire des vaccins. Mais de telles expropriations seraient contraires à l’engagement international de la France dans le cadre du Traité sur les ADPIC signé dans le cadre de l’OMC, lequel encadre les utilisations des brevets sans l’autorisation des brevetés (à son article 31). Ainsi, en application de ce Traité, un droit de brevet peut être limité, mais en aucun cas nié. Autrement dit, le Traité sur les ADPIC fait obstacle à l’expropriation qui résulterait d’une « levée des brevets » susceptible de les transformer en « biens communs de l’humanité ».
Des discussions sont néanmoins en cours au sein de l’OMC en vue d’instaurer une exception propre à la pandémie Covid-19, afin de rendre inefficaces les brevets tendant à la résolution de la crise. Ces discussions font toutefois face aux blocages de certains pays. Cela dit, une telle exception qui viserait effectivement une sorte de « levée des brevets », paraît peu justifiable au regard de l’économie du système des brevets. Le droit de brevet, qui permet la réservation temporaire d’un enseignement technique, vient avant tout récompenser la recherche. Néanmoins, il connaît, comme tout droit, des limitations assurant l’équilibre du système sur lequel il repose. Il ne s’agit pas d’un droit de propriété illimité et la licence d’office constitue un mécanisme régulateur visant à éviter un abus de droit, tout en garantissant toujours des redevances aux brevetés, lesdites redevances permettant de récompenser équitablement la recherche. Autrement dit, le mécanisme de la licence d’office suffirait déjà, à condition d’être de fonctionner effectivement, à rétablir le potentiel déséquilibre entre intérêt de la santé publique et stimulation de la recherche.
En fin de compte, quoi qu’il en soit, l’importance des brevets ne peut pas être négligée dans le processus de fabrication des vaccins et la proposition de loi déposée le 8 avril au Sénat permettra peut-être de ne plus confondre production des vaccins et mise en flacons, afin de s’intéresser au cœur du problème, la fabrication des principes actifs, pour enfin que la France puisse acquérir la souveraineté industrielle promise jadis par le Président Macron.