Inventions de salariés : les contreparties dues à l’inventeur
De l’attribution de l’invention à l’employeur découlent certaines conséquences, parmi lesquelles, l’obligation de rémunérer spécialement l’inventeur (1), rémunération dont l’évaluation peut toutefois s’avérer délicate (2) et ainsi donner lieu à des contestations, lesquelles seront portées devant le Commission Nationale des Inventions de Salariés (« CNIS ») ou encore le Tribunal judiciaire de Paris (3).
1. L’employeur/personne morale propriétaire de l’invention : les conséquences
a) Pas d’obligation de procéder au dépôt de l’invention pour l’employeur
L’employeur n’est pas obligé de procéder au dépôt de l’invention : il peut en effet préférer garder l’invention secrète, ou considérer que le coût de protection par un patent serait excessif au regard de l’intérêt de l’invention.
b) Droit au nom de l’inventeur
L’inventeur peut, aux termes de l’article L. 611-9 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), décider de faire valoir ou non ce droit d’être mentionné comme inventeur dans le brevet, cette désignation étant effectuée en principe dans un document séparé de la requête en délivrance[1].
c) Obligation de verser à l’inventeur une contrepartie financière
Condition à la rémunération de l’inventeur
Dès lors que l’invention est brevetable, l’inventeur peut solliciter une contrepartie financière, et cela même si l’invention ne fait pas l’objet de dépôt ou de brevet, et même si l’employeur/ la personne morale exploite, à partir de l’invention réalisée, un procédé différent de celui mis au point par l’inventeur. Mais si l’invention n’est pas protégée par un brevet, c’est l’inventeur qui devra prouver la brevetabilité de son invention. Les juges se montrent exigeant sur les qualités que doit présenter cette preuve. En effet, la Cour d’appel de Paris a pu débouter sens un salarié qui produisait pourtant d’une part des documents établis par lui et détaillant les caractéristiques nouvelles et inventives de chaque invention, et d’autre part plusieurs attestations de salariés affirmant son implication et le rôle essentiel qu’il avait joué dans la réalisation de ces inventions[2].
En revanche, si l’invention n’est pas brevetable du fait d’une faute de l’employeur (comme le non-paiement des annuités, sa divulgation ou encore l’insuffisance de description), l’inventeur ne perd pas son droit à une contrepartie financière.
Le débiteur de la rémunération supplémentaire
C’est à l’employeur de verser la rémunération supplémentaire due au titre d’une invention de mission, soit la personne sous l’autorité duquel le salarié exerce sa prestation.
Ainsi, dès lors que la qualité d’employeur est transférée et que le contrat de travail est transmis à un nouvel employeur, c’est à ce dernier de s’acquitter des dettes afférentes à la rémunération supplémentaire. C’est le cas pour les opérations de restructurations sociétaires ou encore les plans de cession dans le cadre de procédures collectives, le cessionnaire étant alors tenu de la créance à compter de la date de cession (en cas de plan de redressement, c’est la date à laquelle le tribunal ayant ouvert la procédure collective, rend le jugement d’adoption du plan).
En revanche, dans l’hypothèse d’une cession d’actifs, les contrats de travail ne sont pas transmis au repreneur et la qualité d’employeur n’est pas transférée au cessionnaire. Aussi, même si l’employeur cède sa qualité d’ayant droit au brevet sur une invention de salarié à un tiers cessionnaire ou une autre société du groupe, c’est auprès de l’employeur et non du cessionnaire que le salarié pourra réclamer sa rémunération[3]. Il en va de même s’agissant d’un transfert entre deux employeurs de résultats de travaux effectués par un salarié dans le cadre de la mission inventive confiée par l’employeur cédant, et désormais employé par le cessionnaire : ce transfert ne conférant pas au cessionnaire la qualité d’ayant droit de l’employeur, le salarié ne peut recevoir de rémunération supplémentaire de la part du cessionnaire[4].
Quant à l’hypothèse dans laquelle le salarié, embauché comme intérimaire, est amené à réaliser sa prestation chez une entreprise cliente, s’il se trouve effectivement sous l’autorité hiérarchique de l’entreprise cliente chez qui il effectue sa prestation salariée, c’est toutefois à l’entreprise de travail temporaire qu’il reviendra de verser la rémunération due en vertu de l’article L. 611-7 du CPI, dès lors que cette dernière continue à lui verser son salaire. En effet, conformément à l’article L. 1251-2 du Code du travail, l’entreprise de travail temporaire s’entend de la « personne physique ou morale dont l’activité exclusive est de mettre à la disposition temporaire d’entreprises utilisatrices des salariés […] qu’elle recrute et rémunère à cet effet »[5].
2. Fixation du montant de la contrepartie financière
La nature de la contrepartie financière diffère suivant que l’invention est de mission (a) ou hors mission (b).
a) S’agissant de l’invention de mission : rémunération supplémentaire
Pour les salariés relevant de l’article L. 611-7 du CPI
En contrepartie de l’invention de mission, le salarié a droit à une rémunération supplémentaire, dont l’évaluation peut être fixée par les conventions collectives[6], accords d’entreprises et contrats individuels de travail, mais dont aucune précision n’est donnée par le CPI. La jurisprudence a aussi eu l’occasion de préciser que cette rémunération ne devait ni être déterminée en fonction de la marge brut générée par la commercialisation de l’invention, ni être globale, forfaitaire, et évaluée au regard du salaire. Les juges prennent ainsi notamment compte, pour fixer cette rémunération, d’un certain nombre de facteurs tels que :
- L’intérêt économique de l’invention,
- La participation du salarié inventeur dans l’invention,
- La portée de l’invention sur le plan technique, industriel et économique de l’invention.
La cour d’appel de Lyon a récemment considéré que le renouvellement des droits était également un critère pertinent pour apprécier l’importance de l’invention pour la société ayant déposé le brevet, et que l’employeur qui ne contestait pas avoir procédé à plusieurs demandes de renouvellement de la protection de ses brevets ne pouvait sérieusement soutenir qu’il ne serait pas en mesure de déterminer si les inventions étaient ou non innovantes. La Cour considère également que peut constituer un critère pertinent, les pratiques de l’entreprise en matière de rémunération : ainsi de la distinction de rémunération faite entre les brevets de produits innovants et nouveaux susceptibles d’une demande industrielle d’une part, et les brevets de produits permettant d’améliorer l’efficacité/l’utilisation d’un autre produit d’autre part[7].
En ce sens, les juges allouent des montants symboliques dès lors que les inventions n’ont pas donné lieu à un dépôt et ne sont pas exploitées ou ne représentent pas d’intérêt économiques[8].
Pour les non-salariés accueillis au sein d’une personne morale réalisant de la recherche dont au moins la moitié du personnel permanent de recherche sont des salariés de droit privé.
Aux termes de l’article R. 611-21 du CPI, les conditions dans lesquelles l’inventeur bénéficie d’une contrepartie financière, sont déterminées par sa convention d’accueil et son montant tient en particulier compte :
- Des missions confiées à l’inventeur
- Des circonstances de réalisation de l’invention
- Des difficultés pratiques de mises au point
- De la contribution personnelle de l’inventeur à l’invention
- De l’intérêt économique et commercial que la structure d’accueil pourra en retirer
Pour les non-salariés accueillis au sein d’une personne morale réalisant de la recherche dont plus de la moitié du personnel permanent de recherche sont des agents publics[9] ainsi que les fonctionnaires/agents publics :
Aux termes de l’article R. 611-14-1 du CPI, la rémunération supplémentaire est constituée par une prime d’intéressement aux produits tirés de l’invention et par une prime au brevet d’invention :
- La prime d’intéressement, versée annuellement (mais pouvant faire l’objet d’avances en cours d’année), est calculée pour chaque invention sur une base constituée du produit hors taxes des revenus perçus chaque année au titre de l’invention par la personne publique, et affectée du coefficient représentant la contribution à l’invention de l’agent concerné. Cette prime correspond à 50% de cette base.
- La prime au brevet, qui a un caractère forfaitaire, correspond à un montant fixé par arrêté conjoint des ministres chargés du budget, de la fonction publique et de la recherche, et se trouve versée en deux tranches :
- Droit au versement de la première tranche (20% du montant de la prime) attribué à l’issu d’un délai d’un an à compter du premier dépôt de la demande de brevet.
- Droit au versement de la seconde tranche attribué lors de la signature d’une concession de licence d’exploitation ou d’un contrat de cession dudit brevet.
b) S’agissant de l’invention hors mission attribuable
Les salariés[10], fonctionnaires/agents publics[11], non-salariés[12], ont droit, en contrepartie de leur invention hors mission attribuable, à un juste prix.
Le juste prix est, à défaut d’accord entre les parties, fixé par la CNIS ou le tribunal judiciaire, lesquels prennent en considérations dans leur calcul, tous les éléments fournis par les parties, et notamment :
- L’apport initial de l’inventeur, ainsi notamment de l’importance de sa contribution, du fait qu’il soit à l’origine de l’idée de l’invention, de sa qualité de co-inventeur inscrite sur l’enveloppe SOLEAU, de la durée entre le dépôt du brevet et les études menées par lui[13].
- L’utilité industrielle et commerciale de l’invention. La jurisprudence a rappelé à ce titre que seule l’utilité potentielle de l’invention au jour du dépôt devait être prise en compte, et non le succès ou l’échec industriel ou commercial ultérieur, étant entendu que le chiffre d’affaires attribué à la mise en œuvre industrielle de l’invention n’est pas le fait du salarié mais de l’entreprise en fonction de ses propres capacités de fabrication, de promotion et de commercialisation[14].
- Ainsi, s’entend d’une utilité commerciale le fait que l’invention ait contribué au regain d’activité du secteur de l’entreprise du salarié, eu égard à l’importance de la part que prend la vente des produits issus de l’invention pour la société, au montant du chiffre d’affaires réalisé sur la vente des produits, au fait que l’entreprise ait, grâce à l’invention, pu se repositionner sur le marché[15].
- Le paiement des annuités du brevet pour son maintien en vigueur atteste également de l’utilité industrielle de l’invention[16].
Chacune des parties peut saisir la CNIS ou le Tribunal judiciaire de Paris en cas de contestation sur le montant de la rémunération. En effet, alors que la juridiction prud’homale est par principe compétente dès lors que l’employeur est soumis à une convention collective de branche qui énonce les conditions dans lesquelles le salarié a droit au versement d’une rémunération supplémentaire[17], tout autre litige entre employeur et salarié relatif aux inventions de salarié relève de la compétence exclusive de la CNIS et du Tribunal judiciaire de Paris, et cela même si la contestation n’a pas trait à l’appréciation même de l’existence/la méconnaissance d’un droit attaché à un brevet[18].
Au-delà de la question même du montant de la rémunération, dont les aspects essentiels ont été abordés précédemment, ces litiges soulèvent souvent en parallèle d’autres points de difficultés, ainsi notamment de la question de la prescription.
Dérogeant à la prescription quinquennale de droit commun instaurée par l’article 2224 du Code civil, c’est, depuis la loi no 2013-504 du 14 juin 2013, la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail qui s’applique à la rémunération.
S’agissant du point de départ de ce délai, la jurisprudence est venue préciser que l’action en paiement de la rémunération commençait à courir au jour où le salarié a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant d’exercer son action en paiement, « sans pour autant qu’il soit nécessaire de subordonner ce point de départ à la connaissance de tous les éléments pour déterminer le montant de sa créance, la possibilité pour le salarié d’exercer son droit à rémunération supplémentaire ne devant pas se confondre avec la connaissance par le salarié du montant de la rémunération qui lui est due »[19]. La position du salarié au sein de l’entreprise comme Chef de service/Directeur du département, peut en ce sens permettre d’en déduire que ce dernier connaissait le sort donné aux inventions auxquelles il aurait participé[20].
Et parce que la preuve incombe à l’inventeur demandeur, conformément à l’article 9 du code de procédure civile, c’est donc au salarié qu’il revient de prouver qu’il n’avait pas connaissance des éléments lui permettant de connaître l’existence de son droit à rémunération. À titre d’exemple, puisque le montant de la rémunération supplémentaire doit notamment être en rapport avec la valeur économique de l’invention, la connaissance par le salarié d’une demande de brevet déposée par l’employeur peut être un aspect important pour le montant de son évaluation. Or le salarié peut en avoir connaissance bien plus tard, et ainsi porter une action en justice alors que le délai de prescription se trouve écoulé. Mais c’est alors à lui de démontrer qu’il ne connaissait pas les démarches de son employeur, ce qui peut être particulièrement difficile à démontrer, l’employeur pouvant quant à lui par tout moyen démontrer que l’information était connue dans l’entreprise. La demande de l’inventeur pourrait ainsi être prescrite dès lors que l’employeur pourra démontrer que le salarié avait connaissance de ces informations, lesquelles peuvent être de simples informations internes à l’entreprise. C’est la raison pour laquelle il peut être recommandé au salarié, dès lors qu’il a révélé son invention à l’entreprise, de solliciter une information de son employeur de manière expresse et par écrit.
[2] Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 1, 29 mars 2023, RG n° 21/05362.
[3] Cour de cassation, Chambre commerciale, 5 janvier 2022, pourvoi n°19-22.030.
[4] Cour de cassation, Chambre commerciale, 31 janvier 2018, M. Y c. Sociétés Télécom Design et Info Networks Systems, pourvoi n° I6-13.262.
[5] Cour de cassation, 2ème Chambre civile, 11 avril 2019, pourvoi n° 19-40.002.
[6] Article L. 2261-22 12° f) du code du travail.
[7] Cour d’appel de Lyon, Chambre sociale A, 9 octobre 2024, RG n° 22/01784.
[8] Cour d’appel de Paris, pole 5 chambre 2, 2 avril 2021, RG n°19/03350.
[12] Article L. 611-7-1 du CPI.
[13] Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 1, 15 janvier 2019, RG n° 17/08434.
[14] Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre, 1re section, 30 mars 2017, RG n° 16/06011.
[15] Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 1, 15 janvier 2019, RG n° 17/08434
[16] Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 1, 15 janvier 2019, RG n° 17/08434.
[17] Cour de cassation, Chambre sociale, 3 mai 2018, pourvoi n° 16-25.067, Sté IBM c/ M.A.
[18] Cour d’appel de Versailles, 11 janvier 2023, RG n°20/02765.
[19] Tribunal de grande instance de Paris, 23 mars 2018, RG n°15/00961.
[20] Cour d’appel de Paris, pôle 5, ch. 2, 1er avr. 2022, RG no 21/09523.