23 January 2025

Invention de salariés : identification et classification

Si par principe, le droit au patent appartient à l’inventeur [1], un régime spécifique est cependant institué par les articles L. 611-7 et L. 611-7-1 du Code de propriété intellectuelle, qui trouve application pour les inventions de salariés, non-salariés accueillis par une personne morale réalisant de la recherche, et fonctionnaires ou agents publics (1), lesquelles inventions étant alors classées en trois catégories distinctes (2).

  1. Champ d’application des articles L.611-7 et L.611-7-1 du CPI
  • Loi applicable

Au préalable, il convient de rappeler que, dès lors qu’existe un élément d’extranéité (nationalité de l’un des cocontractants étrangère / lieu d’exécution du contrat hors France), la loi applicable au contrat de travail, à défaut de choix express par les parties, est la loi du pays dans lequel ou à partir duquel le travailleur inventeur accomplit habituellement son travail[1], et cela indépendamment du lieu de l’office auprès duquel le brevet est ou sera déposé.

  • Qualité de l’inventeur

S’agissant ainsi des dispositions de la loi française, pour qu’un employeur/ personne morale puisse revendiquer une invention, l’inventeur doit entrer dans le champ d’application des articles L.611-7, R.611-11 ou L.611-7-1 du CPI. Il faut donc soit :

Que l’inventeur soit un salarié, conformément à L611-7 du CPI, le salarié s’entendant d’une personne physique réalisant une prestation pour le compte de son employeur, en respectant ses directives et moyennant une rémunération.  Il en résulte que l’inventeur doit être lié à l’employeur par un contrat à durée déterminée ou indéterminée.

Et l’invention réalisée par le salarié doit avoir été mise au point alors que le contrat de travail était en vigueur. Est ainsi considérée comme ayant été mise au point durant le contrat de travail :

  • l’invention préexistante au contrat mais mise au point durant l’exécution du contrat ;
  • l’invention dont la réalisation a débuté durant la relation salariale, mais finalisée après extinction de cette relation (par départ volontaire, licenciement, retraite).

Que l’inventeur soit un fonctionnaire/agent public, puisqu’il se trouve alors également soumis aux dispositions de l’article L611-7 du CPI (sauf stipulations contractuelles plus favorables), aux termes de l’article R611-11 du CPI.

Que l’inventeur, non salarié, soit accueilli par une personne morale réalisant de la recherche dans le cadre d’une convention, aux termes de l’article L611-7-1 du CPI, cette personne morale pouvant :

  • être une personne morale dont la moitié au moins des personnels permanents de recherche sont des salariés de droit privé[2];
  • être une personne morale dont plus de la moitié des personnes permanents de recherche sont des agents publics[3].

Sont ainsi concernés par ce texte les stagiaires, doctorants, professeurs ou directeurs émérites.

En revanche, n’entrent notamment pas dans le champ d’application de l’article L.611-7-1 du CPI les inventeurs indépendants, soit ceux en free-lance ou ayant conclu un contrat de prestation de recherche après d’une entreprise privée/publique réalisant de la recherche mais non accueillis au sein de la structure de l’entreprise. Il est en ce sens recommandé à la personne morale qui voudrait obtenir le droit de déposer la demande de brevet de régler au préalable la question de la titularité du droit au brevet sur l’invention mise au point à l’occasion de la prestation, puisqu’à défaut de stipulation contractuelle, le droit au brevet restera dans le patrimoine de l’inventeur.

A l’inverse, dans l’hypothèse où l’inventeur entrerait par principe dans le champ de l’article L611-7-1 du CPI, et que la personne morale souhaiterait contourner cette application, il lui est recommandé, afin d’y échapper, d’indiquer au sein du contrat que la prestation ne se fera pas sur le site de l’entreprise et avec les moyens de l’entreprise.

  • Qualification de l’invention :

Les articles L611-7 et L611-7-1 du CPI distinguent trois catégories d’invention :

  • Les inventions de missions

Ce sont celles mises au point par l’inventeur dans l’exécution d’une mission inventive que lui a confiée l’employeur/la personne morale (mission qui doit correspondre aux fonctions effectives de l’inventeur[4]). Ces inventions appartiennent à l’employeur/la personne morale seul, lequel doit en contrepartie verser à l’inventeur une rémunération supplémentaire.

Dans une affaire en date du 31 janvier 2018[5], la Cour de cassation avait à se prononcer sur la qualité de l’invention transférée entre deux employeurs dans le cadre d’une cession d’actifs. En l’espèce, la salariée avait effectué des travaux de recherche dans le cadre d’une mission inventive que lui avait confiée la société cédante.  Le cessionnaire, par la suite nouvel employeur de la salariée, avait suite au transfert déposé un brevet à partir de ces éléments. La Cour a alors considéré que ledit transfert des résultats de travaux ne conférait pas au cessionnaire la qualité d’ayant droit de l’employeur, ce dont il résultait que le cessionnaire n’était pas fondé à opposer à la salariée que l’invention dont elle était l’auteur était une invention de mission.

  • Les inventions hors mission attribuables

Ce sont celles mises au point de la propre initiative de l’inventeur mais ayant un lien avec l’entreprise/l’organisme public/ la personne morale car réalisées soit :

  • Au cours de l’exécution des fonctions du salarié ;
  • En dehors de ses fonctions mais grâce à la connaissance/l’utilisation de techniques/moyens spécifiques à l’entreprise/l’organisme public ;
  • Dans le domaine des activités de l’entreprise/l’organisme public.

Ces inventions appartiennent par principe à l’inventeur, mais l’employeur/la personne morale peut exercer son droit d’attribution pour s’en rendre propriétaire, et devra alors, en contrepartie, verser à l’inventeur un juste prix.

  • Les inventions hors mission non-attribuables

Ce sont celles mises au point par des inventeurs n’ayant pas de mission inventive ou celles n’ayant aucun lien avec les activités de l’employeur/la personne morale. Ces inventions appartiennent à l’inventeur seul, lequel peut se les approprier en déposant un brevet et les exploiter librement.

[1] Règlement européen n° 593/2008, dit « Règlement Rome I », article 3 sur renvoi de l’article 8.

[2] Article R. 611-21 du CPI.

[3] Article R.611-22 du CPI.

[4] Cour de cassation, Chambre commerciale, 18 décembre 1986, pourvoi n° 85-14.621 P.

[5] Cour de cassation, Chambre sociale, 31 janvier 2018, M. Y c. Sociétés Télécom Design et Info Networks Systems, pourvoi n° I6-13.262.

Author : Dhenne Avocats.