COVID-19: Automatic licensing as an economic lever?
1. La crise COVID-19 a vu une résurgence de la licence d’office, mais elle demeure toutefois globalement peu utilisée. Peut-être cette position pourrait-elle évoluer à la lumière de cette pandémie, à la suite de laquelle la licence d’office pourrait être envisagée comme un levier économique face à la chute de la croissance économique?
2. Principes de licence d’office. – La licence d’office dans l’intérêt de la santé publique est censée être l’exception à invoquer pour une urgence extrême d’une crise sanitaire comme COVID-19. Cependant, l’accord ADPIC la soumet à un grand nombre de conditions : l’autorisation est examinée au cas par cas (article 31(a)) ; la négociation préalable avec le titulaire du droit (sauf en cas d’urgence) (art. 31 (b)) ; durée et portée de la licence limitées à l’objet pour lequel elle a été autorisée (article 31 (c)) ; la licence doit être non exclusive, incessible (article 31 (d) et (e)), et destinée principalement à l’approvisionnement du marché intérieur du membre qui l’a autorisée (article 31 (f)) ; l’autorisation peut être résiliée si et lorsque les circonstances qui l’ont motivée cessent d’exister et ne se reproduiront probablement pas (article 31 g)) ; une rémunération adéquate (article 31 h)) est soumise à un contrôle judiciaire ou à un autre contrôle indépendant (article 31 i)).
3. Limites des licences d’office. – Ce système n’a été utilisé qu’en de rares occasions et presque uniquement par les pays en développement (1). Et la crise COVID 19 a conduit principalement au même constat (2). Même l’exception de l’article 31 bis, bien qu’elle ait été le résultat d’âpres négociations à l’OMC, n’a été appliquée qu’une seule fois et sa mise en œuvre a été vivement critiquée pour sa complexité (3) et sa lenteur (4). Face à COVID-19, certains ont rapidement constaté que la licence d’office était inefficace et ont conclu, selon la logique dualiste, que l’expropriation était la seule solution en cas de besoin (5). Cette réaction a semblé naturelle, car, en fait, le système semble n’avoir pratiquement jamais été utilisé en Europe – sauf en Allemagne (6) – et jamais aux États-Unis (7) où toutes les demandes ont été rejetées .
Au-delà d’une illustration de l’adage exceptio est strictissimae interpretationis, on voit dans cette inefficacité le résultat d’un mécanisme peu clair et trop strictement délimité. Par exemple, l’intérêt public, qui est central, n’est pas défini. En outre, une seule exception a été prévue à l’article 31 bis et les pays à revenu élevé ont opté pour la non-application de cette disposition, même dans les cas d’extrême urgence(8). Or, ce sont ces mêmes pays qui n’ont plus de capacités de fabrication de principes actifs sur leur territoire, car elles ont été externalisées, principalement vers la Chine ou l’Inde. En conséquence, pour un pays à revenu élevé, une licence d’office devra également être accordée pour le même médicament dans le pays exportateur, qui doit déjà avoir été fourni. En outre, une telle dérogation tend à cloisonner les marchés, permettant une totale liberté de prix et autorise donc des prix différents selon les régions. Le risque réside finalement dans la fixation de prix qui ne sont pas liés aux coûts de fabrication ou de développement, mais à la valeur perçue d’un médicament dans le traitement de la COVID-19. Ce type de situation s’est déjà produit dans le cas de la molécule de sofosbuvir pour le traitement de l’hépatite C (9). À partir de 2016, un nombre croissant d’Américains atteints d’hépatite C se sont rendus en Inde pour acheter du sofosbuvir, en raison de son coût élevé aux États-Unis (10).
4. Idées fausses sur la licence d’office. – La relative inefficacité de la licence d’office contre COVID-19 a suscité peu de réactions (14). Cela résulte de l’impopularité et de la diabolisation d’une telle licence, elles-mêmes héritées du modèle utilitaire classique. L’approche dualiste de ce dernier a donné naissance à certains mythes (15), comme celui de faire de la licence d’office une expropriation. Bien qu’il ne s’agisse que d’une limitation des prérogatives du titulaire du droit. En effet, le breveté reste libre d’utiliser son invention (usus), de percevoir des redevances (fructus), mais est dépossédé d’un attribut de sa propriété, puisqu’il est contraint de conclure un contrat non souhaité (perte de l’abusus). Un autre a priori non fondé est que l’octroi de licences d’office entraverait l’innovation en privant les investissements de leur récompense. En fait, le mécanisme vise à compenser soit l’incapacité à fournir un marché, soit l’incapacité à le fournir à un prix raisonnable (16), dans les cas où le breveté n’aurait pas reçu de redevance. En outre, nous évitons les coûts de nombreuses négociations bilatérales avec des partenaires potentiels, puisque cette tâche sera laissée à l’État qui demande la licence. Une étude économique récente suggère également que les licences obligatoires ont augmenté les demandes de brevets nationaux dans le secteur chimique d’au moins 20 % (17). Enfin, elle pourrait servir de levier aux pays pour encourager les fabricants brevetés à délocaliser des usines sur leur territoire ou à baisser les prix, notamment pour donner accès aux soins de santé en temps de pandémie et pour relancer leur économie pendant et après ladite pandémie.
5. Mesures de rééquilibrage. – Cependant, les députés européens (18) et français (19) ont proposé d’adopter des licences d’office respectivement pour l’Union européenne et la France. Pour cela, il est néanmoins nécessaire de rééquilibrer le système afin qu’il devienne réellement utilisable. Il faut tout d’abord étendre le statut de pays importateur, selon l’article 31 bis de l’ADPIC, aux pays à haut revenu (20). On pourrait également préciser que la licence couvre les demandes de brevet, les certificats complémentaires de protection et tous les éléments raisonnablement nécessaires à la commercialisation de l’invention. En ce sens, l’Afrique du Sud a récemment proposé une approche plus globale de l’utilisation des flexibilités de l’ADPIC pour diverses formes de PI et diverses technologies nécessaires pour prévenir et guérir COVID-19 (21). De même, une clarification des règles semble cruciale. La notion d’intérêt public pourrait notamment être caractérisée, par exemple, en prévoyant, comme dans la section 41(2) de la loi anglaise de 1949, que les médicaments doivent être mis à la disposition du public « au prix le plus bas compatible avec les avantages que les brevetés doivent équitablement tirer des brevets ».
6. Ainsi, la licence d’office semble pouvoir servir de levier économique pour les États, plus particulièrement en les aidant à inciter les producteurs brevetés à délocaliser les fabrications sur leurs territoires et à baisser les prix. Ainsi, les développements au lendemain de la pandémie semblent susceptibles de renforcer les rôles géopolitiques et économiques du droit des brevets dans le monde post-COVID-19. Espérons que ce nouvel espoir n’est pas vain. Mais, pour citer Spinoza, « il ne peut y avoir d’espoir sans peur, et pas de peur sans espoir ».
Cet article a été publié sur le blog du droit européen des brevets (lien).