23 January 2025

CCP : la CJUE valide la protection des combinaisons de produits

Il résulte d’un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union le 19 décembre 2024 dans les affaires jointes C-119/22 et C-149/22, qui revient sur l’interprétation des articles 3 a) et 3 c) du règlement CCP de façon autonome, que les combinaisons de principes actifs (A + B = C) peuvent être couvertes par un CCP .

Les litiges C-119/22 et C-149/22 concernaient des demandes de CCP présentées par Merck pour des combinaisons de molécules : (i) sitagliptine + méformine et (ii) ézétimibe + simvastatine. Les brevets de base couvraient, chacun, un principe actif donné (sitagliptine ou ézétimibe) et contenaient aussi des revendications dépendantes portant sur un autre principe actif (méformine ou simvastatine). Merck avait déjà obtenu des CCP pour la sitagliptine seule et pour l’ézétimibe seul. Dès lors, deux questions majeures se posaient :

1. Une telle combinaison est-elle éligible à la protection via l’article 3 c) du règlement ?

2. Et, d’autre part, est-elle couverte au sens de l’article 3 a) ?

Pour mémoire, la CJUE avait auparavant refusé de reconnaître la protection de combinaisons au titre des articles 3 a) et 3 c) ensemble (décisions Actavis C-443/12 et C-577/13), quand la combinaison en question n’était pas l’élément principal de l’invention dans le brevet de base. Pour en saisir la logique, il faut revenir sur l’interprétation de l’article 3 a). Même si la jurisprudence sur l’article 3 c) est assez réduite, celle sur l’article 3 a) est abondante — et parfois confuse. L’article 3 du règlement prévoit qu’un CCP est délivré si « le produit est protégé par un brevet de base en vigueur » (a) et si « le produit n’a pas déjà fait l’objet d’un CCP » (c). Or, l’approche retenue quant à l’article 3 a) façonne directement celle adoptée à l’égard de l’article 3 c) : si on considère qu’une mention du produit dans les revendications suffit pour qu’il soit couvert par le brevet (3 a)), cela implique qu’on ne puisse plus ensuite protéger la combinaison avec un autre produit (3 c)).

Trois critères possibles ont ainsi été discutés quant à la conformité à l’article 3 a) :

1. Le test de la contrefaçon, suivant lequel il suffit que le produit approuvé tombe sous les revendications du brevet.

2. Le test du « spécifiquement identifiable » (ou « spécifié »), selon lequel il doit figurer suffisamment clairement (par exemple de façon nominative) dans les revendications et/ou la description,

3. Le test de l’invention (ou du « progrès inventif »), imposant que le produit reflète la contribution inventive centrale du brevet.

La CJUE a écarté le test (1) de la contrefaçon dans l’affaire Medeva (C-322/10), en optant pour le test (2) : « le produit doit être spécifié dans le libellé des revendications ». Mais, à partir des décisions Actavis (C-443/12 et C-577/13) — où est apparu le critère (3), relatif au progrès inventif —, la Cour s’est un peu distanciée de Medeva, prenant une approche plus souple pour déterminer si le produit est réellement couvert par le brevet de base. Puis, dans Teva (C-121/17), elle a introduit un test en deux points :

1. La combinaison, à la lumière du brevet (descriptions, dessins), doit relever nécessairement de l’invention couverte,

2. Chaque principe actif doit être « spécifiquement identifiable », d’après l’ensemble des informations divulguées dans le brevet à la date de priorité ou de dépôt.

Enfin, dans Royalty Pharma (C-650/17), la Cour a confirmé le critère du « spécifiquement identifiable », précisant qu’une définition purement fonctionnelle du produit ne satisfaisait pas l’article 3 a) si le produit final avait été conçu bien plus tard, via une activité inventive autonome.

Il est vrai que la jurisprudence de la CJUE sur l’article 3 a) peut paraître complexe et parfois contradictoire, en raison du chevauchement entre le test de la “spécification” (2) et celui du “progrès inventif” (3). À partir de Medeva, la Cour a insisté sur la spécificité ; puis, avec Actavis, elle a glissé vers une exigence portant aussi sur la “contribution inventive” couverte par le brevet de base. Résultat : la Cour juge qu’on ne se contente pas d’écrire le nom d’un produit dans les revendications pour qu’il soit considéré comme “couvert” (article 3 a) : il doit avant tout relever de l’“invention couverte par le brevet”. Cette redéfinition de l’article 3 a) permet alors à la Cour d’interpréter plus largement l’article 3 c), et d’admettre qu’on puisse protéger la combinaison d’un produit déjà spécifiquement couvert avec un autre.

En réalité, ce flou découle également du règlement même, dont certains passages sont peu explicites. L’expression « produit protégé par le brevet de base », au cœur de l’article 3, manque de clarté, ce qui provoque des interprétations diverses. De nombreuses décisions, parfois contradictoires, révèlent qu’il serait probablement souhaitable de réformer ce texte, quitte à clarifier la notion de « produit couvert ». On pourrait consacrer un doctorat entier à dénoncer la rédaction parfois défaillante des normes européennes et à proposer des solutions — par exemple, s’appuyer davantage sur des juristes que sur des experts financiers ou techniques pour rédiger ces textes. Mais ce n’est pas l’objet ici, même si, dans l’optique d’un CCP « unitaire » (européen), la question de la compétence de la Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) se posera inévitablement. Il semble toutefois que la proposition de règlement sur les CCP unitaires pourrait aggraver la confusion, surtout si la JUB n’est pas compétente pour ces nouveaux titres, alors qu’elle reste compétente pour les CCP nationaux dérivés d’un brevet de base qu’elle peut examiner.

En conclusion, il faut retenir que la Cour a confirmé que la combinaison A + B peut relever de l’article 3 c) si elle est bel et bien couverte (au sens de l’article 3 a) par l’invention telle que décrite dans le brevet. Même s’il est parfois difficile de s’y retrouver entre les nombreux arrêts, ce nouveau jugement aura le mérite d’éclaircir un peu plus l’interprétation — tout en laissant la porte ouverte à des divergences futures, compte tenu de la faible précision du texte même du règlement.

Author : Dhenne Avocats.