Point de départ de la rémunération supplémentaire de l’inventeur salarié
Par sa décision du 1er avril 2022, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée sur la détermination du point de départ de la prescription pour exiger une rémunération supplémentaire liée à des inventions de mission.
L’affaire soumise à la Cour d’appel de Paris soulevait la question de la prescription à l’égard de 11 inventions de salarié inexploitées réalisées entre 1999 et 2015 et à l’égard d’inventions exploitées issues d’un partenariat de recherches achevé en 2014. La prescription a été jugée acquise pour les deux catégories d’inventions. D’un côté, s’agissant des inventions inexploitées, conformément à l’article 2224 du Code civil, le point de départ de la prescription quinquennale a été fixé à la date de dépôt de brevet le plus tardif, soit en 2007, parce qu’à cette date la salariée ne pouvait ignorer l’existence de son droit à une rémunération supplémentaire. De l’autre côté, s’agissant des inventions exploitées, qui étaient rattachées au partenariat de recherches, conformément à l’article L3245-1 du Code du travail, le point de départ de la prescription triennale a été fixé à la date à laquelle la créance était déterminable, soit en décembre 2014, date de fin du partenariat.
Rappelons que la question du point de départ du délai de prescription pour la rémunération supplémentaire des inventeurs salariés a été réformée par la loi du 17 juin 2008, modifiant l’article 2224 du Code civil, auquel faisait référence l’ancien article L3245-1 du Code du travail. Avant 2008, le délai de prescription ne pouvait commencer à courir à défaut de détermination et de certitude de la créance. Depuis lors, ledit délai court à compter de la date à laquelle le salarié « a connu ou aurait dû connaître » les faits lui permettant d’exercer son action. Quant à la durée du délai, auparavant décennale ou trentenaire, cette même loi de 2008 la fixe à cinq ans. Délai par la suite réduit à trois ans pour les inventions de salariés avec la loi du 14 juin 2013, modifiant ainsi l’article L3245-1 du Code du travail.
L’arrêt commenté comporte deux enseignements.
En premier lieu, la Cour applique le point de départ « flottant » prévu par l’article 2224 du Code civil, et repris à l’article L. 3245-1 du Code du travail, à la prescription d’une rémunération de salarié. Cela implique, conformément à ces textes, que la prescription commence à courir à partir du moment où le salarié « a connu ou aurait dû connaître » les faits lui permettant d’exercer son droit. Or, les dispositions transitoires des lois de 2008 et 2013 prévoient que « les nouvelles dispositions s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de leur promulgation sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi ancienne ». Ainsi, s’agissant des inventions inexploitées dont le point de départ a été fixé à novembre 2007, c’est la prescription quinquennale de la loi du 17 juin 2008 qui s’applique. Et, s’agissant du partenariat dont le point de départ a été fixé à décembre 2014, c’est la prescription triennale résultant de la loi du 14 juin 2013 qui s’applique.
En second lieu, l’appréciation des Juges diffère selon que les inventions soient inexploitées ou exploitées. Pour les inventions inexploitées, il convient de retenir la date de la connaissance du droit à rémunération supplémentaire (date du dépôt du brevet). Ainsi, la Cour infirme sur ce point la décision de première instance, qui avait retenu que la prescription courait à partir de la connaissance d’un programme de rémunération de salarié dans l’entreprise. Pour les inventions exploitées, il convient de retenir la date de déterminabilité du montant de la rémunération supplémentaire. Cette appréciation in concreto conduit en l’occurrence la Cour à retenir la date de fin du partenariat de recherche.
En fin de compte, nous retiendrons essentiellement de l’arrêt commenté que le point de départ « flottant » de la prescription aura conduit la Cour d’appel à considérer que la prescription commençait à courir à compter du dépôt des demandes de brevets et non à compter du moment où le programme de rémunération supplémentaire a été porté à la connaissance du salarié. Cependant, cette position semble liée aux faits de l’espèce (statut de la salariée dans l’entreprise), de telle sorte qu’elle ne nous semble pas remettre en cause l’utilité d’une diffusion du programme de rémunération supplémentaire auprès des salariés.