La métamorphose du stagiaire en inventeur salarié
Cette métamorphose du stagiaire en inventeur salarié passée presque inaperçue, peu ou pas commentée, constitue pourtant une réforme importante du droit français.
L’ordonnance n° 2021-1658 du 15 décembre 2021 étend le régime de dévolution des droits sur les logiciels (article L. 113-9-1 du code de la propriété intellectuelle) et les inventions de salariés (L. 611-7-1 du code de la propriété intellectuelle) aux personnes physiques qui n’ont pas un contrat de travail ou le statut d’agent public et qui exercent des missions au sein et avec les moyens d’une personne morale publique ou privée effectuant des recherches. Les personnes concernées sont notamment les stagiaires, les doctorants étrangers, les professeurs ou les directeurs.
Il s’agit, plus particulièrement, d’une réponse réglementaire au litige entre le CNRS et l’un de ses stagiaires. En effet, la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 avril 2006, avait retenu la cession au stagiaire du droit au brevet sur l’invention développée au cours de son stage (Cass. com., 25 avril 2006, n° 04-19.482). La Cour d’appel avait néanmoins retenu que le CNRS était l’ayant droit du stagiaire en raison des stipulations du règlement intérieur, qui prévoyait la dévolution au CNRS des droits sur les inventions réalisées en son sein par les étudiants. Il appartenait néanmoins au juge administratif d’apprécier la légalité dudit règlement (CA Paris, 12 septembre 2007, RG n° 06/15211). Le Tribunal administratif de Paris (TA Paris, 11 juillet 2008, n° 0717692) puis le Conseil d’État (CE, 22 février 2010, n° 320319) ont jugé que le règlement était illégal, au motif qu’il était ultra vires, car il revenait à dépouiller les usagers de ce service public de leurs droits de propriété industrielle.
Cette réforme, qui résulte d’une logique économique, visant à empêcher un stagiaire de détenir des droits de brevet (c’est-à-dire le droit de déposer une demande de brevet) et des droits d’auteur (sur les logiciels), est difficile à justifier d’un point de vue textuel. En effet, il n’y a pas de rapport salarial, donc l’attribution des résultats de l’activité exercée dans le simple cadre d’une mission n’est pas justifiée. Cependant, d’un point de vue fondamental, au-delà de cette logique textuelle, la sécurité juridique doit prévaloir.
Il ne fait guère de doute que la dévolution automatique des droits de brevet et des droits d’auteur (sur les logiciels) renforce la sécurité juridique. Il n’en reste pas moins que cette réforme chirurgicale, en ce qu’elle ne vise que deux droits, ne résoudra pas tous les problèmes. En d’autres termes, les employeurs seront toujours obligés d’utiliser la voie contractuelle pour assurer la couverture d’autres créations, par exemple le droit d’auteur sur une interface logicielle.
Espérons donc qu’à l’avenir les parties concernées seront cette fois-ci consultées, afin d’éviter une réforme au coup par coup et de préférer une harmonisation globale.