Une demande de brevet suffit pour des mesures provisoires
Dans une décision du 3 juin 2022, opposant NOVARTIS et BIOGARAN, le Tribunal Judiciaire de Paris a admis la recevabilité d’une demande de mesures provisoires fondée sur une demande de brevet européen. Cette solution, aussi surprenante qu’elle puisse paraître à première vue, pourrait néanmoins être justifiée.
La décision commentée est une ordonnance rendue dans une affaire opposant NOVARTIS à BIOGARAN concernant une autorisation de mise sur le marché obtenue par cette dernière pour la substance active fingolimod utilisée en monothérapie pour le traitement des formes très actives de la sclérose en plaques récurrente-rémittente. La demande de brevet européen n° EP 2 959 894, qui couvre ladite spécialité, avait été invoquée par son titulaire (NOVARTIS) comme fondement de sa demande de mesures provisoires, immédiatement après que la Chambre de recours de l’OEB ait ordonné à la Division d’examen de délivrer le brevet sur la base d’une seule des 11 revendications soumises à l’Office, alors que le brevet n’avait pas encore été délivré. Le juge a toutefois admis la recevabilité d’une telle action fondée sur la demande de brevet européen, tout en considérant que l’unique revendication en cause n’était ni nouvelle ni inventive, de sorte que des mesures provisoires n’étaient pas justifiées.
Cette reconnaissance de la recevabilité de l’action en contrefaçon de brevet semble, à première vue, surprenante. L’interprétation de l’article L. 615-3 du CPI discutable. S’il est vrai que ce texte fait référence aux « droits conférés par le titre« , il est également vrai que ce titre s’entend, en principe, comme le brevet délivré. Ainsi, l’article L. 615-4 prévoit expressément que « le tribunal saisi d’une action en contrefaçon fondée sur une demande de brevet sursoit à statuer jusqu’à la délivrance du brevet« . L’interprétation retenue pourrait également contredire l’article L. 614-9 du même code, qui énumère de manière exhaustive les droits découlant de la demande et ne mentionne pas ceux prévus par l’article L. 615-3.
Toutefois, à y regarder de plus près, la position adoptée dans la décision commentée pourrait être conforme aux textes et logique, à condition que le demandeur présente des garanties suffisantes. En effet, le droit au brevet naît du dépôt de la demande. Ainsi, dans le cas d’une demande de brevet européen, l’article 67(1) de la CBE dispose que « à compter de sa publication, la demande de brevet européen confère provisoirement au demandeur, dans les Etats contractants désignés dans la demande, la protection prévue à l’article 64« . L’article 64 qui énonce « les droits conférés par le brevet« . À la lumière de ces textes, les « droits conférés par le titre« , visés à l’article L. 615-3 du CPI, devraient inclure autant le brevet que la demande publiée. D’autant plus que si l’article L. 614-9 prévoit un sursis à statuer, ce n’est que pour le cas particulier d’une action en contrefaçon (et non pour des mesures provisoires), et surtout, il ne fait pas expressément référence à la demande « publiée« , mais seulement à « la demande« . Par ailleurs, aussi surprenant que cela puisse paraître, la solution retenue par la décision commentée n’est pas nouvelle, dans la mesure où elle avait déjà été adoptée par la jurisprudence française. Enfin, l’action en interdiction provisoire tend à s’apparenter à l’action en contrefaçon, autant du point de vue de ses effets que des conditions de sa recevabilité.