Les inventions de salariés
Les inventions sont le plus souvent réalisées par des salariés. Ainsi, le contentieux relatifs aux inventions de salariés s’est particulièrement développé depuis le début des années 1990, en particulier à propos des sommes susceptibles d’être attribuées aux salariés.
L’article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle est consacré aux inventions de salariés. Par « salariés », il faut entendre toute personne liée par un contrat de travail avec un employeur. Ainsi, les stagiaires ne sont, par exemple, pas visés. Dans ces cas, c’est-à-dire en l’absence de lien de de subordination, l’article L611-6 est net : l’invention revient à l’inventeur (au stagiaire par exemple).
En revanche, quand un lien de subordination existe effectivement, des contentieux tendent à germer quand un salarié quitte son employeur. Depuis le début des années 1990 la jurisprudence se concentre essentiellement sur les sommes attribuables au salarié selon qu’il s’agisse d’une invention de salarié dite « de mission » (I) ou d’une invention de salarié dite « hors mission » donnant droit, si elle est attribuable, à un juste prix (II).
I. Invention de mission
L’invention de mission est celle réalisée par le salarié en vertu d’une mission inventive découlant soit du contrat de travail, qui comprend alors une mission inventive générale correspondant aux fonctions effectives du salarié, soit d’une mission inventive spéciale résultant d’études et de recherches explicitement confiées au salarié.
En contrepartie de l’invention, le salarié a droit à une rémunération supplémentaire, en principe analysée comme une prime et non pas comme le prix de l’invention. S’agissant de l’évaluation de ladite prime, la Cour de cassation a jugé qu’il « ne résulte d’aucun texte légal ou conventionnel que la rémunération due au salarié, auteur de l’invention de mission, doive être fonction de son salaire » (jurisprudence dite « Raynaud ») [1].
N’étant pas fonction du salaire, ainsi que dépendante de circonstances diverses pas précisées par la loi, l’évaluation de la rémunération se révèle délicate, appréciée au cas par cas, car liées aux circonstances. Souvent une convention collective ou un accord d’entreprise prévoit de telles modalités de calcul. Il a récemment été jugé par la Cour d’appel de Paris que dans ce cas un système forfaitaire différent de celui prévu par une convention collective, consistant en l’occurrence dans le versement de différentes primes pour différentes inventions, devaient, au préalable, être porté à la connaissance du salarié, ce qui n’avait pas été prouvé en l’espèce en l’absence de toute mention dans le contrat de travail [2]. En revanche, le barème interne compris dans un avenant au contrat de travail met le salarié en connaissance de cause et lui est donc opposable. Ainsi, le salarié ayant participé à différentes inventions pour lesquelles il reçut d’abord un premier versement puis ensuite un second versement 10 ans plus tard lié à l’exploitation de l’invention ne pouvait exiger un complément conformément à la convention collective des industries chimiques [3].
S’agissant de l’action en paiement que le salarié peut intenter elle est soumise à une prescription triennale, qui, selon la Cour de Paris, commence à courir à compter du jour où le salarié avait connaissance des éléments nécessaires au calcul de sa rémunération supplémentaire [4]. Dans un jugement du 23 mars 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a décidé que l’action en paiement d’un salarié pour une invention de mission réalisée en 1998, dont il connaissait ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir dès 2006, était prescrite [5].
II. Invention hors mission attribuable
L’invention hors mission est celle réalisée par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions soit dans le domaine des activités de l’entreprise soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle. Dans ces cas, l’employeur a le droit, dans des conditions et délais fixés par décret en Conseil d’État, de se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention de son salarié.
L’employeur ne pourra cependant exercer son droit d’attribution d’une invention qu’à la condition de payer à son salarié un juste prix. En principe, ce juste prix, qui constitue le prix d’une cession, devrait être supérieur à une rémunération supplémentaire. De fait, depuis la jurisprudence Raynaud, ce n’est pas nécessairement le cas puisque la rémunération supplémentaire connaît des modalités de calcul similaires.
S’agissant calcul du juste prix, la Cour de cassation a posé le principe selon lequel « si le juste prix doit être évalué au jour où l’employeur exerce son droit d’attribution, des éléments postérieurs à cette date peuvent être pris en compte pour confirmer l’appréciation des perspectives de développement de l’invention ». La Cour régulatrice rejetant en l’espèce le pourvoi formé contre un arrêt qui avait augmenté le juste prix octroyé au salarié de 70.000 à 320.000 euros en tenant compte de l’exploitation et des conséquences de l’exploitation postérieure à l’attribution [6]. Dans un jugement du 12 octobre 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a rappelé que ce montant devait être déterminé au regard des éléments fournis par les parties tant en fonction des apports de chacun que de l’utilité industrielle et commerciale de l’invention. Le Tribunal a ainsi fixé l’apport du salarié à 20 %, d’une part, puis jugé que, faute de réponse explicite de l’employeur dans les quatre mois de la déclaration d’invention, la créance était née à la date du dépôt de la demande de brevet [7]. Le Tribunal de grande instance de Paris a également jugé dans une décision du 20 avril 2017 qu’une invention réalisée par un salarié dans le cadre de l’exécution de ses fonctions, sur son temps de travail et selon les instructions de son supérieur constituait une invention hors mission attribuable, bien qu’aucune mission inventive ou de recherche ne fut mentionnée dans son contrat de travail, puisque une telle qualification était en adéquation avec ses fonctions successives technicien logistique puis d’agent administratif. Ainsi, le Tribunal a accordé au salarié un juste prix évalué à 100.000 euros, parce que la contribution du salarié à la solution technique était équivalente à celle de l’autre co-inventeur et supérieure à celle de son employeur, lequel l’avait uniquement mis industriellement en œuvre [8].
S’agissant de la prescription de l’action en paiement du juste prix que le salarié peut intenter, le Tribunal de grande instance de Paris a jugé dans une décision du 9 février 2017 que, conformément à l’article 2224 du Code civil, la prescription commençait à courir du jour où le salarié a connu des faits donnant naissance à son intérêt à agir, en l’occurrence du jour de la connaissance de l’exercice de son droit d’attribution par l’employeur. Si en l’espèce le salarié n’avait pas eu directement connaissance des dépôts de brevets, il en avait néanmoins eu indirectement connaissance avec son bulletin de paie indiquant explicitement la première prime brevet. Dès lors, l’action en paiement de juste prix, intentée plus de 5 ans après cette date, était prescrite [9].
[1] Cass. com., 21 nov. 2000, pourvoi n° 98-11900.
[2] CA Paris, 30 mai 2017, RG n° 16/06557.
[3] CA Paris, 12 décembre 2017, RG N° 16/10812.
[4] CA Paris, 2 mars 2018, RG n° 16/23992.
[5] TGI Paris, 23 mars 2018, RG n° 15/00961.
[6] Cass. com. 9 juillet 2013, pourvoi n° 12-22157.
[7] TGI Paris, 12 oct. 2018, n° 17/02071.
[8] TGI Paris, 20 avril 2017, RG n° 15/15749.
[9] TGI Paris, 9 février 2017, n° 16/02827.