27 décembre 2021

Affaire XIAOMI : Paris, le « nouveau monde » des FRAND

Affaire XIAOMI : Paris, le « nouveau monde » des FRAND

Les deux décisions rendues par le TJ de Paris dans l’affaire XIAOMI vs PHILIPS confirment que le TJ de Paris est compétent pour fixer un taux de licence FRAND global, l’ETSI étant situé à Nice (7 décembre 2021, [RG 20/12558] et [RG 20/12558]). Nous reviendrons ci-dessous sur le contexte de cette décision, avant de nous référer à la décision elle-même et de la commenter.

 

Contexte de l’affaire XIOMI

Il convient d’abord de rappeler brièvement le contexte. La nature de l’engagement FRAND est ici en cause et de nombreuses théories ont été avancées. Alors que la Cour de justice a estimé que l’engagement FRAND doit être examiné à la lumière du droit de la concurrence (approche du droit de la concurrence), d’autres considèrent qu’il s’agit d’un engagement contractuel pris par le breveté envers un organisme (l’Institut européen des normes de télécommunications, ou « ETSI ») pour un tiers (le demandeur de licence), autrement dit, une « stipulation pour autrui » (c’est-à-dire un mécanisme de droit civil français équivalent à une clause de tiers bénéficiaire). Dans ce dernier cas, la compétence du juge français pourrait être imposée, puisque l’ETSI est à Nice (approche contractuelle) (voir ici).

Cette question avait déjà été soulevée dans l’affaire TCL. Ainsi, le 6 février 2020, le TJ de Paris avait reconnu sa compétence pour connaître des litiges relatifs aux licences FRAND impliquant l’ETSI et jugeant que l’engagement des titulaires de brevets essentiels à une norme à accorder des licences FRAND constituait une  » stipulation pour autrui « .

De manière surprenante, cette nature contractuelle semble également avoir été reconnue par les tribunaux anglais et allemands, qui n’en ont cependant pas tiré les conséquences. Ainsi, dans l’affaire Unwired Planet, la Cour suprême britannique s’est appuyée sur l’engagement pris envers l’ETSI tout en appliquant une approche de droit de la concurrence (voir ici). De même, le Bundesgerichtshof (c’est-à-dire la Cour fédérale de justice allemande), dans l’affaire Einwand II, s’est écarté de la position de la Cour de justice en se concentrant davantage sur l’engagement pris par le breveté que sur le droit de la concurrence.

 

L’affaire XIAOMI en elle-même

Dans le contexte décrit ci-dessous, l’affaire opposant XIAOMI à PHILIPS semblait fondamentale : le juge français confirmerait-il la position adoptée en février 2020 dans l’affaire TCL ?

Le 30 novembre 2020, XIAOMI a signifié une assignation à PHILIPS, principalement pour contraindre ce dernier à respecter ses obligations envers ETSI d’accorder un taux de licence FRAND et pour demander au juge de fixer lui-même ce taux. L’ETSI a également reçu une assignation pour contraindre PHILIPS à respecter ses obligations en vertu du règlement intérieur de l’ETSI. En avril 2021, PHILIPS et l’ETSI ont fait valoir l’incompétence du Juge français : la première, parce qu’aucune demande n’était dirigée contre l’ETSI, et la seconde, parce qu’elle considérait qu’elle n’avait pas qualité pour défendre.

Le juge a rejeté ces deux arguments.

En premier lieu, il a jugé que le TJ de Paris était compétent, d’un point de vue national, car sa compétence était établie dès lors que l’existence ou la méconnaissance d’un droit de brevet était nécessaire à la résolution du litige.

En second lieu, il a jugé que le TJ de Paris était compétent, d’un point de vue international, en application de l’interprétation par la CJUE de l’article 8.1 du règlement Bruxelles I Bis. Il a ainsi été rappelé en substance qu’il s’agissait de déterminer s’il existait un lien suffisant entre les demandes : un lien si étroit entre les demandes formulées à l’encontre des défendeurs que le fait de les juger en même temps évite, notamment, de conduire à des solutions inconciliables si elles étaient jugées séparément (CJUE, Painer et Sapir e.a.). Sachant que dans ce cas, le juge n’a pas à vérifier si la demande a été formulée dans le seul but de soustraire l’un des défendeurs à la compétence de son for (CJUE, Freeport). En revanche, la connexité doit être rejetée si le demandeur et le défendeur se sont entendus pour créer ou maintenir artificiellement les conditions d’application de l’article 8(1) susmentionné (CJUE, Cartel Damage Claims [CDC] Hydrogen Peroxide SA vs. Akzo Nobel NV ea).

Ainsi, dans l’affaire XIAOMI, le juge a retenu sa compétence car : l’identité de la situation de fait et de droit était établie, les demandes à l’encontre de PHILIPS et de l’ETSI étaient fondées sur l’application des règles de l’ETSI ; le risque de décisions inconciliables était également établi, entre un tribunal français et un tribunal étranger ; aucune collusion entre XIAOMI et l’ETSI n’est alléguée, cette dernière ayant soulevé l’incompétence de PHILIPS ; aucun tribunal n’avait été saisi précédemment d’une demande de fixation d’un taux de redevance FRAND.

 

Commentaires sur l’affaire XIAOMI

Les décisions XIAOMI, particulièrement bien motivées, sont à approuver à plusieurs titres.

Il ne fait guère de doute que le droit français des contrats offrirait un angle intéressant dans la résolution des litiges FRAND. On pourrait imaginer de contourner le protocole imposé par la décision Huawei vs ZTE, étant donné que l’obligation de négocier un contrat de bonne foi n’implique pas le respect de ce protocole et que l’absence d’accord final n’implique pas nécessairement une violation des règles ETSI.

En outre, les décisions gagneraient également en légitimité, surtout dans un cadre mondial rempli d’injonctions anti-poursuites, en clarifiant à quel titre l’autorité judiciaire peut fixer unilatéralement un taux global. En effet, l’engagement FRAND constituant une forme de « stipulation pour autrui « , cela donne un fondement réel au choix du forum (droit français des contrats) et légitime la fixation d’un taux global par un Tribunal (TJ de Paris). S’il est vrai que, d’autre part, l’ETSI lui-même et ses règles méritent sans doute une sérieuse réforme pour devenir réellement efficaces.

Il convient également de rappeler que les tribunaux français refusent également les injonctions anti-suit (« ASI »), avec des injonctions anti-anti-suit (« AASI »). En effet, en octobre 2019, après que Lenovo ait déposé une ASI aux États-Unis en septembre 2019, IPCom avait déposé une action devant le Tribunal parisien, pour obtenir une AASI contre Lenovo. En novembre 2019, le Tribunal avait donné raison à IPCom, estimant que les ASI étaient contraires à l’ordre public français, sauf lorsqu’elles visaient à faire respecter des clauses d’arbitrage ou juridictionnelles. En outre, selon les juges de Paris, l’ASI sollicitée par Lenovo s’apparenterait à une violation des droits de propriété d’IPCom. En mars 2020, la Cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement.

La décision XIAOMI confirme la jurisprudence du TJ de Paris, qui a une compétence exclusive en matière de brevets, en faveur des titulaires de brevets essentiels. Il reste maintenant à voir si les titulaires de droits vont au moins considérer de plus en plus sérieusement l’opportunité que le territoire français représente un endroit où il fait décidément bon vivre quand on souhaite attaquer avec des brevets essentiels.

Auteur : Dhenne Avocats.